DSM STORY

Chronique d’un soin imposé

Introduction

(Le rideau s’ouvre sur un décor minimaliste : une chaise vide au centre de la scène. Une lumière tamisée éclaire un grand livre posé sur une table. Une voix off grave et posée se fait entendre.)

Voix off :
Le DSM V.
Un livre lourd, un guide médical, une norme écrite.
Chaque émotion qui déborde, chaque vague de créativité,
Devient une déviance à traiter.
Chaque trouble appelle un remède :
Un comprimé, une injection, une contention.

Mais qui décide de ce qui est normal ?
Et à quel prix ?

Voici l’histoire d’un homme.
Un homme qui pensait être libre.
Jusqu’à ce que la norme le rattrape.

(Le rideau tombe lentement.)


Acte I : L’école, un déséquilibre


Scène 1 : La salle de classe

(Un décor de salle de classe. Tables en désordre, des graffitis sur les murs. Le professeur entre, nerveux, des livres dans les bras.)

Le professeur :
(essayant de calmer le chaos ambiant)
Bonjour à tous. Aujourd’hui, nous allons parler…

(Un élève l’interrompt brusquement.)

Un élève :
Parler ? Monsieur, ça sert à rien. Et toi, t’oserais pas parler si je t’disais comment j’vais planter ma lame dans la gorge de cette déléguée, hein ? Devant tout l’monde !

(Les rires fusent. Une élève au premier rang se recroqueville, terrifiée.)

Le professeur :
(tétanisé)
Ce… ce genre de propos… est inacceptable.

(L’élève ricane. Le professeur reste figé. La sonnerie retentit, les élèves sortent dans un vacarme. Le rideau tombe lentement.)


Scène 2 : La salle des professeurs

(Un décor simple : une table, des chaises, une machine à café. Le professeur entre, livide. Il s’effondre sur une chaise, la tête entre les mains.)

Une collègue :
Ça va ? Vous avez l’air…

Le professeur :
Non. Un élève a menacé quelqu’un. Devant moi.

(Pause.)

Le professeur :
J’ai essayé… mais rien ne change.

(Le proviseur entre, les bras croisés.)

Le proviseur :
Encore des soucis ?

Le professeur :
(frustré)
Ce n’est pas un simple souci. Il a décrit comment il planterait un couteau dans la gorge d’une élève.

Le proviseur :
(blasé)
Vous savez, les jeunes parlent beaucoup. Ça ne veut rien dire.

Le professeur :
(le regard fixe)
Mais ça veut dire quelque chose pour moi.

(Il se lève brusquement.)

Le professeur :
Ma mère aussi, elle parlait. Elle pleurait, criait. Elle délirait. Et maintenant, est-ce que je deviens comme elle ?

(Le proviseur, visiblement mal à l’aise, quitte la pièce. Le rideau tombe lentement.)


Scène 3 : L’arrivée aux urgences

(Un décor clinique. Une salle d’attente impersonnelle. Le professeur est assis, encadré par deux ambulanciers. Une infirmière s’approche.)

L’infirmière :
Monsieur, comment vous sentez-vous ?

Le professeur :
J’ai l’impression d’être un arbre déraciné.

(L’infirmière note quelque chose sur son carnet et s’éloigne.)

(Le rideau tombe.)


Acte II : L’hospitalisation


Scène 1 : Le diagnostic

(Un bureau exigu, des murs nus. Le professeur est assis face au psychiatre, qui feuillette le DSM.)

Le psy :
Voilà mon opinion :
Prenez des cachetons !
L’hypomanie est une maladie.
Pour preuve, c’est écrit
Dans ce manuscrit des SM.
Cinq fois que je l’lis,
Le cynisme est proscrit.

Vous semblez un peu blême…
Vous n’êtes pas dans les normes.
Faut recouvrer la forme !
On vous prend la tension ?
Ou piqûre dans le croupion ?

(Il se tourne vers un collègue.)

Le psy, à son collègue :
Il n’aime pas les médocs.
Puis il a peur des docs.
Il veut pas qu’on le touche.
Et parle vite, je trouve ça louche.

(Il se parle à lui-même.)

Le psy, à lui-même :
L’est doux comme l’agneau.
Doit se contenir ce salaud !
Paraît clair, a de l’esprit.
Malgré ses airs, j’me méfie.
S’il est là, l’a dû être dingue.
Dans ce service, faudrait un flingue…

(Le rideau tombe.)


Scène 2 : La contention

(Une chambre blanche, froide. Le professeur est debout, entouré par le psy et deux infirmiers.)

Le psy :
Vous comprenez qu’c’est pas normal
D’pas accepter l’ordre médical.
On n’a pas le choix, sécurité.
On va devoir vous attacher.

(Les infirmiers s’approchent. Le professeur baisse la tête.)

Un infirmier, à lui-même :
Pas l’air méchant, c’prof de trente ans.
Ça m’fait d’la peine de l’ligoter.
Le psy a parlé. J’dois la boucler.
J’demande pourtant : qui est le dément ?

(Le rideau tombe sur cette scène glaçante.)


Scène 3 : L’humiliation

(Le professeur est seul, attaché au lit. Une infirmière entre, un récipient à la main.)

L’infirmière :
Tenez, monsieur. Pour vos besoins.

Le professeur :
(regardant le récipient)
Ils savent soigner leurs fous…
Pour les briser, ont du talent.

(Quelques minutes passent. Le récipient est hors de portée. On entend un bruit sourd et un soupir de désespoir. Le rideau tombe lentement.)


 

 

 

Suite et Fin de la Pièce : DSM STORY


Acte III : La descente
Scène 4 : La compagne arrive

(La chambre est sombre. Le professeur est toujours attaché au lit, les bras écartés. La compagne entre, le regard bouleversé.)

La compagne :
Mon chéri, ça va aller.
Je vais m’occuper de toi.
Tu ne resteras pas aux abois.
Comment t’aider, mon amour ?

Le professeur :
(d’une voix faible)
S’il te plaît, sors-moi de là…
Ou j’vais devenir coucou.
Je veux rentrer chez nous.
Promets qu’aucun papier tu ne signeras !

La compagne :
(le regardant avec tristesse)
Je te le promets.
Je ferai tout pour toi.

(Elle quitte la chambre et se dirige vers le bureau des médecins. Le rideau tombe et se lève immédiatement pour la scène suivante.)


Scène 5 : Les pressions médicales

(Un bureau clinique. Deux psychiatres et une infirmière discutent avec la compagne.)

La compagne :
J’lui ai promis de pas signer.
Vous n’pouvez pas m’obliger.
Sachez que je l’aime tant.
Il n’est pas du tout consentant.

Psy 1 :
Madame, comprenez que sans hospitalisation…
Il pourrait s’ensuivre une grosse dépression.
Vous prenez le risque d’un suicide.
Sur le cerveau, des dégâts irréversibles…

Psy 2 :
Vous n’avez pas tout vu.
N’écoutez pas ses boniments.
Des patients, j’en ai connu.
Il leur faut des médicaments.

(La compagne hésite. Les psychiatres insistent, parlant à tour de rôle. Après trente minutes de pression psychologique, elle cède, en larmes.)

La compagne :
(à elle-même)
Suicide, dégâts irréversibles…
Ils ont tous l’air si crédibles.
Je signe, ma promesse reniée.
Puisse-t-il me pardonner !

(Le rideau tombe, marquant une étape décisive dans la descente aux enfers du professeur.)


Acte IV : La crise et la libération
Scène 1 : La crise

(Retour dans la chambre. Le professeur est seul. On voit son visage marqué par la fatigue et les effets des sédatifs.)

Le professeur :
Ma bouche se remplit de cendres…
Elle devient sèche et pâteuse.
J’appelle à l’aide… plus rien.
Ils m’ont laissé dans mon coin.

(Il commence à paniquer. Sa langue gonfle, il ne peut plus parler. Il essaie de hurler mais n’émet que des borborygmes.)

Le professeur :
(haletant)
Jusqu’où vont-ils me punir ?
Aidez-moi ou je vais mourir !
J’peux plus respirer ! Est-ce que je vais crever ?

(Il s’effondre. Le rideau tombe dans un silence lourd.)


Scène 2 : La libération

(Quelques mois plus tard. Le professeur est debout, seul sur scène. Il parle directement au public.)

Le professeur :
J’suis sorti deux jours plus tard.
Pas un hôpital, mais un mitard.
Y avait des fous bien enragés.
Certains bavaient, menaçaient d’tuer.

Pas pris de médicaments.
Pas jugé assez dément.
Puis ils m’ont libéré
Quand on a parlé de procès.

Pas complété leurs rapports.
Pas avoué c’qu’ils ont fait de mon sort.
Je n’ai jamais été attaché.
Ils ne m’ont jamais humilié…

Terrifié et rempli de haine,
De cette terrible déveine,
Perdu confiance en l’humanité.
Tics et tocs d’un traumatisé.

Merci pour les soins.
Gloire aux gentils médecins,
Qui ne font pas une affaire
Des âmes qu’ils ont enfouies sous terre.

(Le rideau tombe lentement sur cette dernière tirade, laissant le public réfléchir sur les thèmes abordés.)


Conclusion

(Une lumière douce éclaire le centre de la scène. Une voix off reprend.)

Voix off :
Le DSM V, ce manuel froid et autoritaire, classe, étiquette, et enferme.
Les hommes qui y ont été diagnostiqués en ressortent rarement intacts.
Cette histoire est la mienne. Une parmi tant d’autres.
Merci à ceux qui l’ont écoutée.

(Le rideau tombe définitivement.)